Juliette Fontaine instaure des confrontations et des hybridations entre des entités humaines, animales ou végétales. D’emblée, on ne parle pas ici de collage, ce qui serait réducteur, car justement chez elle les modalités même de mise en présence entre ces entités ne sont pas réglées par un protocole a priori, mais suscitent à chaque fois de nouveaux langages et de nouvelles formes. Là où les figures se confrontent ou se mêlent, les médiums – crayons, encres, aquarelles, craies, gouache, acrylique – sont combinés d’une manière chaque fois différente. Ils constituent les conditions et le médium spécifique de chaque coexistence, comme le milieu qui permettrait de l’expérimenter.

Dans ce laboratoire d’une vie en mouvement, les animaux occupent une place centrale tant ils constituent pour l’artiste la « différence fondamentale », une altérité absolue, toujours susceptible d’une interaction déstabilisante avec l’humain. Les inviter revient à leur proposer un espace de survivance, pour reprendre ses propres termes, dans la conscience du danger qui les menace mais aussi de la complexité de la relation des humains à leur égard.

Cette série des Lunaires met en œuvre des coexistences dans un geste très énergique qui laisse notamment transparaître la figure de Simona Kossak, chercheuse polonaise à laquelle l’artiste s’intéresse depuis longtemps, qui a vécu aux confins de la forêt primaire une coexistence radicale et profondément engagée avec les animaux, celle également de Jane Goodall dont les recherches sur les primates sont plus connues, ainsi que des figures plus abstraites ou fugitives d’êtres vivants qui évoquent parfois comme un bestiaire médiéval.

On pourrait penser que la très forte énergie qui s’exprime dans ces dessins est nécessaire pour ne pas se satisfaire de l’humain, sortir de soi, risquer la rencontre. La pratique de Juliette Fontaine relève ainsi d’une approche non seulement anthropologique mais aussi antispéciste et plus largement politique : comment faire vivre dans le dessin que notre monde ne peut exister qu’en accueillant l’autre vivant, sans naïveté sur la difficulté que cela implique — mais sans relâche ?

Thierry Fournier, octobre 2025